Les entrepreneurs, chargés de les conduire au Nouveau-Monde, voyant qu’il en mourait tous les jours quelques-uns, craignirent, et d’avoir fait des frais inutiles, et de perdre la taxe qu’on leur donnait, en partant, pour chaque passager. Ils insistèrent si fortement, et surent lâcher une somme si à propos, que tout fut prêt pour le départ. Les exilés fondaient en larmes, à l’aspect des vaisseaux ; ils se couchaient sur le rivage ; ils embrassaient avec fureur cette terre de proscription où chacun d’eux laissait quelque chose de cher ; ils craignaient autant de quitter la France qu’ils l’avaient désiré quelque temps auparavant. Après s’être amusés quelques moments de l’abondance de leurs larmes[1] et des mouvements expressifs de leur douleur, on les contraignit à s’embarquer ; et les côtes de France s’abaissant graduellement derrière eux, elles disparurent enfin à leurs regards.
Après deux ou trois journées de navigation, le capitaine du vaisseau songea à exécuter un pro-
- ↑ Des soldats ont bien pu être coupables d’une bassesse que l’on reprochait à des personnes de la première qualité. Le comte de Tessé avait fait arrêter quelques malheureux ; une personne de condition vint se jeter à ses pieds pour demander leur grâce, et ses discours étaient coupés de sanglots plaintifs et de larmes. Le comte se mit à genoux aussi devant cette personne, joignit les mains comme elle, et se mit à contrefaire la douleur par mille contorsions, tordant les yeux et la bouche, et poussant de longs hurlements. E. Benoît, Hist. de l’Édit de Nantes, tome III, liv. XXIII, p. 857.