Page:Rabbe - Album d’un pessimiste, I, 1836.djvu/46

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plupart des peuples de l’Europe, non contentes d’exercer sur un cadavre insensible d’inutiles fureurs, frappant encore une postérité innocente, la livraient à la misère et à l’infamie, au lieu de lui accorder cette pitié active et secourable à laquelle un tel malheur donne incontestablement des droits.

Heureusement nos lois sont purgées de cette étrange barbarie, et il faut espérer que, malgré les regrets que certains hommes exhalent à cet égard, elle ne reviendra pas les infecter de nouveau. Il nous est redéfendu de nous séparer de nos femmes : à la bonne heure, ce sera une raison pour les prendre moins légèrement ; mais du moins qu’il nous soit permis de nous séparer de cette vie contre le bonheur et le repos de laquelle tant de chances fatales, filles de nos perverses institutions et de nos fausses mœurs, peuvent conspirer. Aussi long-temps que les lois ne seront pas assez parfaites, ou les gouvernemens assez bons pour préserver l’homme de l’effet des plus fréquentes combinaisons de la fortune, et de la collision meurtrière des intérêts ; aussi long-temps que la machine sociale sera assez défectueuse pour que ceux qu’elle doit protéger aient à craindre d’être broyés à chaque instant par le jeu de ses ressorts, il sera absurde, odieux et barbare de vouloir empêcher ceux que la roue menace, de se mettre à l’abri du supplice en se jetant dans ce fleuve éternel, sur lequel la pitoyable machine est incessamment suspendue,