Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome III (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/127

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ayant une fourche en main, et là les traitait à la fourche, de sorte qu’ils commençaient leur repas par fromage, et l’achevaient par moutarde et laitue, comme témoigne Martial avoir été l’usage des anciens. Enfin on leur présentait à chacun d’eux une platelée de moutarde, et étaient servis de moutarde après dîner.

Leur diète[1] était telle. Au dimanche, ils mangeaient boudins, andouilles, saucissons, fricandeaux, hâtereaux[2], caillettes, exceptez toujours le fromage d’entrée et moutarde pour l’issue. Au lundi, beaux pois au lard, avec ample comment[3] et glose interlinéaire. Au mardi, force pain bénit, fouaces, gâteaux, galettes biscuites. Au mercredi, rusterie, ce sont belles têtes de mouton, tête de veau, tête de bedouaux[4]. lesquelles abondent en icelle contrée. Au jeudi, potages de sept sortes et moutarde éternelle parmi. Au vendredi, rien que cormes, encore n’étaient-elles trop mûres, selon que juger je pouvais à leur couleur. Au samedi, rongeaient les os : non pourtant étaient-ils pauvres ne souffreteux, car un chacun avait bénéfice de ventre bien bon. Leur boire était un antifortunal[5] : ainsi appelaient-ils je ne sais quel breuvage du pays. Quand ils voulaient boire ou manger, ils rabattaient leurs cahuets de leurs scaputions par le devant, et leur servait de bavière[6].

Le dîner parachevé, ils priaient Dieu très bien, et tout par fredons. Le reste du jour, attendants le jugement final, ils s’exerçaient à œuvre de charité, au dimanche, se pelaudants[7] l’un l’autre, au lundi, s’entrenazardants, au mardi, s’entrégratignants, au mercredi, s’entremouchants, au jeudi, s’entretirants les vers du nez ; au vendredi, s’entrechatouillants ; au samedi, s’entrefouettants.

Telle était leur diète quand ils résidaient au couvent. Si par commandement du prieur claustral, ils issaient[8] hors, défense rigoureuse, sur peine horrifique, leur était faite poisson lors ne toucher ne manger qu’ils seraient sur mer ou rivière, ne chair, telle qu’elle fût, lorsqu’ils seraient en terre ferme, afin qu’à un chacun fût évident qu’en jouissants de l’objet ne jouissaient de la puissance et concupiscence, et ne s’en ébranlaient non plus que le roc Marpésian : le tout faisaient avec antiphones compétentes[9] et à propos, toujours chantants des oreilles, comme avons dit. Le soleil soi couchant en l’océan, ils bottaient et éperon-

  1. Régime.
  2. (Brochettes de foies de volaille).
  3. Commentaire (la sauce).
  4. Blaireaux.
  5. Contre-tempête.
  6. Bavettes.
  7. Battant.
  8. Sortaient.
  9. En rapport.