Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome III (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/129

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comme d’une main, et au combat jettent les gens haut en l’air, et à la chute les font crever de rire. Ils ont jointures et articulations ès jambes. Ceux qui ont écrit le contraire n’en virent jamais qu’en peinture. Entre leurs dents, ils ont deux grandes cornes ; ainsi les appelait Juba, et dit Pausanias être cornes, non dents. Philostrate tient que soient dents, non cornes. Ce m’est tout un, pourvu qu’entendiez que c’est le vrai ivoire, et sont longues de trois ou quatre coudées, et sont en la mandibule supérieure, non inférieure. Si croyez ceux qui disent le contraire, vous en trouverez mal, voire fut-ce Élian, tiercelet[1] de menterie. Là, non ailleurs, en avait vu Pline, dansants aux sonnettes sur cordes, et funambules, passants aussi sur les tables en plein banquet, sans offenser[2] les buveurs buvants.

J’y vis un rhinocéros, du tout semblable à celui que Henry Clerberg m’avait autrefois montré, et peu différait d’un verrat qu’autrefois j’avais vu à Limoges, excepté qu’il avait une corne au mufle, longue d’une coudée et pointue, de laquelle il osait entreprendre contre un éléphant en combat, et d’icelle le poignant[3] sous le ventre, qui est la plus tendre et débile partie de l’éléphant, le rendait mort par terre.

J’y vis trente-deux unicornes[4]. C’est une bête félonne à merveilles, du tout semblable à un beau cheval, excepté qu’elle a la tête comme un cerf, les pieds comme un éléphant, la queue comme un sanglier, et au front une corne aiguë, noire et longue de six ou sept pieds, laquelle ordinairement lui pend en bas comme la crête d’un coq d’Inde : elle, quand veut combattre ou autrement s’en aider, la lève raide et droite. Une d’icelles, je vis, accompagnée de divers animaux sauvages, avec sa corne émonder[5] une fontaine. Là me dit Panurge que son courtaut[6] ressemblait à cette unicorne, non en longueur du tout, mais en vertu et propriété ; car ainsi comme elle purifiait l’eau des mares et fontaines d’ordure ou venin aucun qui y était, et ces animaux divers, en sûreté, venaient boire après elle, ainsi sûrement on pouvait après lui fatrouiller[7] sans danger de chancre, vérole, pisse chaude, poulains grenés[8] et tels autres menus suffrages[9], car si mal aucun était au trou méphitique, il émondait tout avec sa corne nerveuse.

— Quand, dit frère Jean, vous serez marié, nous ferons l’essai sur votre femme. Pour l’amour de Dieu soit, puisque nous en donnez l’instruction fort salubre.

  1. Mâle (diminutif).
  2. Blesser.
  3. Piquant.
  4. Licornes.
  5. Purifier.
  6. Coursier de petite taille (sens libre).
  7. Farfouiller.
  8. Grenus.
  9. Redevances.