Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome III (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/30

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à bâtons[1], les bourgmestre, syndics et gros rabis[2] gaillardets, étaient allés passer temps et voir la fête en Papimanie, île prochaine. L’un d’eux voyant le portrait papal (comme était de louable coutume publiquement le montrer ès jour de fête à doubles bâtons), lui fit la figue, qui est, en icelui pays, signe de contemnement[3] et dérision manifeste. Pour icelle venger, les Papimanes, quelques jours après, sans dire gare, se mirent tous en armes, surprirent, saccagèrent et ruinèrent toute l’île des Gaillardets, taillèrent à fil d’épée tout homme portant barbe, ès femmes et jouvenceaux pardonnèrent, avec condition semblable à celle dont l’empereur Barberousse jadis usa envers les Milanais.

Les Milanais s’étaient contre lui absent rebellés, et avaient l’impératrice sa femme chassé hors la ville, ignominieusement montée sur une vieille mule nommée Thacor, à chevauchons de rebours, savoir est le cul tourné vers la tête de la mule et la face vers la croupière. Frédéric, à son retour, les ayant subjugués et resserrés, fit telle diligence qu’il recouvra[4] la célèbre mule Thacor. Adonc, au milieu du grand Brouet[5], par son ordonnance, le bourreau mit ès membres honteux de Thacor une figue, présents et voyants les citadins captifs ; puis cria, de par l’empereur, à son de trompe, que quiconque d’iceux voudrait la mort évader, arrachât publiquement la figue avec les dents, puis la remit on[6] propre lieu sans aide des mains. Quiconque en ferait refus serait sur l’instant pendu et étranglé. Aucuns[7] d’iceux eurent honte et horreur de telle tant abominable amende, la postposèrent[8] à la crainte de mort, et furent pendus. Ès autres la crainte de mort domina sur telle honte. Iceux, avoir à belles dents tiré la figue, la montraient au boye[9], apertement[10], disant : « Ecco lo fico ». En pareille ignominie, le reste de ces pauvres et désolés Gaillardets furent de mort garantis et sauvés, furent faits esclaves et tributaires, et leur fut imposé le nom de Papefigues, parce qu’au portrait papal avaient fait la figue. Depuis celui temps, les pauvres gens n’avaient prospéré. Tous les ans avaient grêle, tempête, famine et tout malheur, comme éterne[11] punition du péché de leurs ancêtres et parents.

Voyant la misère et calamité du peuple, plus avant entrer ne voulûmes. Seulement pour prendre de l’eau bénite et à Dieu

  1. (Où les chantres portent leurs bâtons).
  2. Rabbins.
  3. Mépris.
  4. Entra en possession.
  5. (La grande halle de Milan).
  6. Au.
  7. Quelques-uns.
  8. Le mirent au-dessous de.
  9. Bourreau.
  10. Ouvertement.
  11. Éternelle.