Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome III (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/31

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nous recommander, entrâmes dedans une petite chapelle près le havre, ruinée, désolée et découverte, comme est à Rome le temple de Saint-Pierre. En la chapelle entrés, et prenants de l’eau bénite, aperçûmes dedans le benoîtier un homme vêtu d’étoleset tout dedans l’eau caché, comme un canard au plonge[1], excepté un peu du nez pour respirer. Autour de lui étaient trois prêtres bien ras[2] et tonsurés, lisants le grimoire et conjurants les diables. Pantagruel trouva le cas étrange, et, demandant quels jeux[3] c’étaient qu’ils jouaient là, fut averti que depuis trois ans passés avait en l’île régné une pestilence tant horrible que pour la moitié et plus le pays était resté désert et les terres sans possesseurs. Passée la pestilence, cetui homme caché dedans le benoîtier arait[4] un champ grand et restile[5], et le semait de touselle[6] en un jour et heure qu’un petit diable (lequel encore ne savait ni tonner ni grêler, fors seulement le persil et les choux, encore aussi ne savait ni lire ni écrire) avait de Lucifer impétré[7] venir en cette île des Papefigues, soi récréer et ébattre, en laquelle les diables avaient familiarité grande avec les hommes et femmes, et souvent y allaient passer temps.

Ce diable, arrivé au lieu, s’adressa au laboureur et lui demanda qu’il faisait. Le pauvre homme lui répondit qu’il semait celui champ de touselle pour soi aider à vivre l’an suivant. « Voire mais, dit le diable, ce champ n’est pas tien, il est à moi, et m’appartient, car depuis l’heure et le temps qu’au pape vous fîtes la figue, tout ce pays nous fut adjugé, proscrit et abandonné. Blé semer toutefois n’est mon état. Pourtant[8] je te laisse le champ, mais c’est en condition que nous partagerons le profit.

— Je le veux, répondit le laboureur.

— J’entends, dit le diable, que du profit advenant nous ferons deux lots. L’un sera ce que croîtra sur terre, l’autre ce qu’en terre sera couvert. Le choix m’appartient, car je suis diable extrait de noble et antique race : tu n’es qu’un vilain. Je choisis ce que sera en terre, tu auras le dessus. En quel temps sera la cueillette ?

— À mi-juillet, répondit le laboureur.

— Or, dit le diable, je ne faudrai[9] m’y trouver. Fais au reste comme est le devoir. Travaille, vilain, travaille. Je vais tenter du gaillard péché de luxure les nobles nonnains de

  1. Plongeon.
  2. Rasés.
  3. Comédies.
  4. Labourait.
  5. Portant fruit tous les ans.
  6. Blé sans barbe.
  7. Obtenu.
  8. Aussi.
  9. Manquerai.