Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome II (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/57

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une dame latine nommée Vérone, muette et sourde de nature, lui demanda avec gesticulations italiques, en ignorance d’icelle surdité, quels sénateurs elle avait rencontré par la montée. Elle, non entendant ce qu’il disait, imagina être ce qu’elle pourpensait[1], et ce qu’un jeune homme naturellement demande d’une femme. Adonc par signes (qui en amour sont incomparablement plus attractifs, efficaces et valables que paroles) le tira à part en sa maison, signes lui fit que le jeu lui plaisait. Enfin, sans de bouche mot dire, firent beau bruit de culetis.

« L’autre, qu’elles ne feraient à nos signes réponse aucune : elles soudain tomberaient en arrière, comme réellement consentantes à nos tacites demandes, ou, si signes aucuns nous faisaient responsifs à nos propositions, ils seraient tant folâtres et ridicules que nous-mêmes estimerions leurs pensements être vénéréiques.

« Vous savez comment, à Croquignoles, quand la nonnain sœur Fessue fut par le jeune briffaut[2] dom Roidimet[3] engrossée, et la grosse[4] connue, appelée par l’abbesse en chapitre et arguée d’inceste, elle s’excusait, allégante que ce n’avait été de son consentement, c’avait été par violence et par la force du frère Roidimet. L’abbesse répliquante et disante : « Méchante, c’était on[5] dortoir, pourquoi ne criais-tu à la force ? Nous toutes eussions couru à ton aide. » Répondit qu’elle n’osait crier on dortoir, pour ce qu’on dortoir y a silence sempiternel. « Mais, dit l’abbesse, méchante que tu es, pourquoi ne faisais-tu signe à tes voisines de chambre ? » « Je, répondit la Fessue, leur faisais signe du cul tant que pouvais, mais personne ne me secourut. » « Mais, demanda l’abbesse, méchante, pourquoi incontinent ne me le vins-tu dire et l’accuser régullèrement ? Ainsi eussé-je fait, si le cas ne fut advenu, pour démontrer mon innocence. » « Pour ce, répondit la Fessue, que, craignante demeurer en péché et état de damnation, de peur que ne fusse de mort soudaine prévenue, je me confessai à lui avant qu’il départît[6] de la chambre, et il me bailla en pénitence de non le dire ni déceler à personne. Trop énorme eût été le péché, révéler sa confession, et trop détestable devant Dieu et les anges. Par aventure, eût-ce été cause que le feu du ciel eût ars[7] toute l’abbaye, et toutes fussions tombées en abîme avec Dathan et Abiron. »

  1. Méditait.
  2. Frère lai.
  3. (Raide y met).
  4. Grossesse.
  5. Au.
  6. Partit.
  7. Brûlé.