Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome I (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/168

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mon âge par inspiration divine, comme, à contre-fil, l’artillerie par suggestion diabolique. Tout le monde est plein de gens savants, de précepteurs très doctes, de librairies[1] très amples, qu’il m’est avis que ni au temps de Platon, ni de Cicéron, ni de Papinien, n’était telle commodité d’étude qu’on y voit maintenant, et ne se faudra plus dorénavant trouver en place ni en compagnie, qui ne sera bien expoli[2] en l’officine de Minerve. Je vois les brigands, les bourreaux, les aventuriers, les palefreniers de maintenant plus doctes que les docteurs et prêcheurs de mon temps.

« Que dirai-je ? Les femmes et filles ont aspiré à cette louange et manne céleste de bonne doctrine. Tant y a qu’en l’âge où je suis, j’ai été contraint d’apprendre les lettres grecques, lesquelles je n’avais contemné[3] comme Caton, mais je n’avais eu loisir de comprendre en mon jeune âge, et volontiers me délecte à lire les Moraux de Plutarque, les beaux Dialogues de Platon, les Monuments de Pausanias et Antiquités d’Atheneus, attendant l’heure qu’il plaira à Dieu mon créateur m’appeler et commander issir[4] de cette terre.

« Par quoi, mon fils, je t’admoneste qu’emploies ta jeunesse à bien profiter en étude et en vertus. Tu es à Paris, tu as ton précepteur Épistémon, dont l’un par vives et vocales instructions, l’autre par louables exemples, te peut endoctriner. J’entends et veux que tu apprennes les langues parfaitement, premièrement la grecque, comme le veut Quintilien ; secondement la latine, et puis l’hébraïque pour les saintes lettres, et la chaldaïque et arabique pareillement, et que tu formes ton style, quant à la grecque, à l’imitation de Platon, quant à la latine, à Cicéron ; qu’il n’y ait histoire que tu ne tiennes en mémoire présente, à quoi t’aidera la cosmographie[5] de ceux qui en ont écrit. Des arts libéraux, géométrie, arithmétique et musique, je t’en donnai quelque goût quand tu étais encore petit, en l’âge de cinq à six ans ; poursuis la reste, et d’astronomie saches-en tous les canons[6]. Laisse-moi l’astrologie divinatrice et l’art de Lullius, comme abus et vanités. Du droit civil, je veux que tu saches par cœur les beaux textes et me les confères avec philosophie.

« Et quant à la connaissance des faits de nature, je veux que tu t’y adonnes curieusement qu’il n’y ait mer, rivière ni fontaine

  1. Bibliothèques.
  2. Poli.
  3. Méprisé.
  4. Sortir.
  5. Description de la terre.
  6. Règles.