Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome I (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/28

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qu’un, voyaient dans son livre un amusement d’honnêtes gens, un divertissement d’après souper. Rabelais n’était dangereux pour personne. À peine trouvait-on parfois qu’il parlait et surtout qu’il écrivait un peu trop.

Le moyen de prendre au sérieux ses réformes ! L’auteur lui-même y croit-il bien quand il les date d’Utopie ? On le sait ami de l’ordre, praticien prudent, prêchant le retour à l’antiquité comme source de toute science, linguiste savant, ennemi des nouveautés dans le langage et dans les mœurs, champion déclaré de la littérature du passé, jusque dans les pronostications et les romans de chevalerie. Y a-t-il vraiment là de quoi révolutionner un siècle ?

Les protestants, remarquons-le, ne s’y trompèrent guère. Si les « démoniacles Calvins, imposteurs de Genève » unirent leurs invectives contre l’auteur de Pantagruel, c’est qu’il avait refusé de les suivre dans leur action réformatrice, qu’il les avait abandonnés en route pour rester avec les modérés.

Et voilà le véritable Rabelais qui nous apparaît. Ni bouffon, ni démolisseur, esprit merveilleusement pondéré, comine le climat de sa benoîte Touraine, avide de tout savoir et de toute science, mais, comme beaucoup de savants, ami de son repos et peu désireux de compromettre la sécurité de ses chères études dans les luttes politiques et religieuses. Équilibriste à la façon d’Érasme, il sait, avec une opportunité que nous voudrions peut-être moins habile, se concilier l’amitié des grands dans tous les partis. Il gouverne sa barque en prenant les événements du bon côté et les gens tels qu’ils sont, excellent exemple à donner à une époque où les flammes du bûcher de Servet répondent à l’autodafé de Dolet, où l’on va bientôt s’égorger au nom de la Réforme et de la Ligue.


Tel est l’homme, ou plutôt tel nous pouvons nous le figurer d’après le peu que nous savons de sa vie. Son œuvre, au moins, s’offre à nous presque entière et nous permet d’embrasser sous toutes ses faces son admirable talent.

Roman satirique ! il faut bien lui laisser ce nom, puis-