Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome I (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/39

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de la parole. Son français sans doute, malgré les moqueries qu’il fait des latinisants et des grécisants d’alors, est encore bien rempli et comme farci des langues anciennes, mais il l’est par une sorte de nourriture intérieure, sans que cela lui semble étranger, et tout, dans sa bouche, prend l’aisance du naturel, de la familiarité et du génie.


Michelet, Histoire de France, xvie siècle, la Réforme, 1855.

Il n’a rien emprunté qu’au peuple, aux vieilles traditions. Il doit aussi quelque chose au peuple des écoles, aux traditions d’étudiants. Il s’en sert, s’en joue et s’en moque. Tout cela vient à travers son œuvre profonde et calculée, comme des rires d’enfants, des chants de berceau, de nourrice.

Navigateur hardi sur la profonde mer qui engloutit les anciens dieux, il va à la recherche du grand Peut-être. Il cherchera longtemps. Le câble étant coupé et l’adieu dit à la Légende, ne voulant s’arrêter qu’au vrai, au raisonnable, il avance lentement, en chassant les chimères. Mais les sciences surgissent, éclairent sa voie, lui donnent les lueurs de la Foi profonde. Copernic y sera plus tard, et Galilée. Mais déjà l’Amérique et les îles nouvelles, déjà les puissances chimiques tirées des végétaux, déjà le mouvement du sang, la circulation de la vie, la mutualité et la solidarité des fonctions, éclatent dans le Pantagruel en pages sublimes, qui sous forme légère, et souvent ironique, n’en sont pas moins les chants religieux de la Renaissance.


Victor Hugo, William Shakespeare, 1864.

Rabelais médecin et curé tâte le pouls à la papauté. Il hoche la tête et il éclate de rire. Est-ce parce qu’il a trouvé la vie ? Non, c’est parce qu’il a senti la mort. Cela expire en effet. Pendant que Luther réforme, Rabelais bafoue. Lequel va le mieux au but ! Rabelais bafoue le moine, bafoue l’évêque, bafoue le pape ; rire fait d’un râle. Ce grelot sonne le tocsin. Eh bien ! quoi ? J’ai cru que c’était une ripaille, c’est une agonie ; on peut se tromper de hoquet. Rions tout de même. La mort est à table. La dernière goutte trinque avec le dernier soupir. Une agonie en goguette, c’est superbe. L’intestin colon est roi. Tout ce vieux monde festoie et crève. Et Rabelais intronise une dynastie de ventres : Grandgousier, Pantagruel et Gargantua. Rabelais est l’Eschyle de la mangeaille, ce qui est grand quand on songe que manger c’est dévorer. Il y a du