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de l’avthevr

toutesfoys hors d’eſmoy : de moy voyant n’eſtre faict aulcun pris digne d’œuure, & conſyderant par tout ce treſnoble royaulme de France, deça, delà les mons, vn chaſcun auiourd’huy ſoy inſtantement exercer & trauailler : part à la ſortification de la patrie, & la defendre : part au repoulſement des ennemis, & les offendre : le tout en police tant belle, en ordonnance ſi mirificque, & à profit tant euident pour l’aduenir (Car deſormais ſera France ſuperbement bournée, ſeront François en repous aſceurez) que peu de choſe me retient, que ie n’entre en l’opinion du bon Heraclitus, affermant guerre eſtre de tous biens père : & croye que guerre ſoit en Latin dicte belle, non par Antiphraſe[1], ainſi comme ont cuydé certains rapetaſſeurs de vieilles ferrailles Latines, par ce qu’en guerre guères de beaulté ne voyoient : mais abſolument, & ſimplement par raiſon qu’en guerre apparoiſſe tout eſpece de bien & beau, ſoit decelée toute eſpece de mal & laidure. Qu’ainſi ſoit, le Roy ſaige & pacific Solomon, n’a ſceu mieulx nous repræſenter la perfection indicible de la ſapience diuine, que la comparant à l’ordonnance d’vne armée en camp[2].

Par doncques n’eſtre adſcript & en ranc mis des noſtres en partie offenſiue, qui me ont eſtimé trop imbecile & impotent : de l’autre qui eſt defenſiue n’eſtre employé aulcunement, feuſt ce portant hotte, cachant crotte, ployant rotte, ou caſſant motte, tout m’eſtoys indifferent : ay imputé à honte plus que mediocre, eſtre veu ſpectateur ocieux de tant vaillans, diuers, & cheualereux perſonnaiges, qui en veue & ſpectacle de toute Europe iouent ceſte inſigne fable & Tragicque comedie : ne me eſuertuer de moy-meſmes, & non y conſommer ce rien mon tout, qui me reſtoit. Car peu de gloire me ſemble accroiſtre à ceulx qui

  1. Belle, non par Antiphraſe. L’opinion dont Rabelais se moque ici est celle de Priscien.
  2. L’ordonnance d’vne armée en camp. Terribilis ut castrorum acies ordinata. (Cantique des cantiques, VI, 9.)