Page:Rabelais marty-laveaux 02.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
10
prologve

seulement y emploient leurs œilz, au demeurant y espargnent leurs forces : cèlent leurs escuz, cachent leur argent, se grattent la teste auecques vn doigt, comme landorez desgoustez, baislent aux mousches comme Veaulx de disme, chauuent des aureilles comme asnes de Arcadie au chant des musiciens, & par mines en silence : signifient qu’ilz consentent à la prosopopée.

Prins ce choys & election, ay pensé ne faire exercice inutile & importun, si ie remuois mon tonneau Diogenic, qui seul m’est resté du naufrage faict par le passé on far de Mal’encontre. A ce triballement de tonneau, que feray ie en vostre aduis ? Par la Vierge qui se rebrasse[1], ie ne sçay encores. Attendez vn peu que ie hume quelque traict de ceste bouteille : c’est mon vray & seul Helicon : c’est ma fontaine Caballine : c’est mon unicque Enthusiasme. Icy beuuant ie delibère, ie discours, ie resoulz & concluds. Apres l’epilogue ie riz, i’escripz, ie compose, ie boy. Ennius beuuant escripuoit, escripuant beuuoit. Æschylus (si à Plutarche foy auez in Symposiacis)[2] beuuoit composant, beuuant composoit. Homere iamais n’escriuit à ieun[3]. Caton iamais n’escripuit que apres boyre[4]. Affin que ne me dictez ainsi viure sans exemple des biens louez mieulx prisez. Il est bon & frays assez, comme vous diriez sus le commencement du second degré : Dieu le bon Dieu Sabaoth, (c’est à dire des armées) en soit eternellement loué. Si de mesmes vous autres beuuez vn grand ou deux petitz coups en robbe, ie n’y trouue inconuenient aulcun, pour veu que du tout louez Dieu : vn tantinet.

Puys doncques que telle est ou ma sort ou ma destinée : (car à chascun n’est oultroyé entrer & habiter Corinthe) ma deliberation est seruir & es vns & es autres : tant s’en

  1. On ne sait pas à quoi Rabelais fait ici allusion. Burgaud des Marets à énuméré diverses suppositions des commentateurs, mais aucune ne paraît digne d’être adoptée.
  2. « Le poëte Æschylus composoit ses tragædies en beuuant, quand il estoit bien eschauffé du vin. » (Propos de table, liv. I, question 5.)
  3. Voyez ci-dessus, p. 65, la note sur la l. 19 de la p. 6 du t. i.
  4. Narratur et prisci Catonis
    Sæpe mero caluisse virtus.

    (Horace, Odes III, 21, II.)