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prologve.

gens de bien : l’autre est des gens de bien aimé. L’vn est vn fin & cauld Renard : l’aultre mesdisant, mesescriuant & abayant contre les antiques Philosophes & Orateurs comme vn chien. Que t’en semble diz, grand Vietdaze Priapus ? I’ay maintes fois trouvé ton conseil & aduis equitable & pertinent : & habet tua mentula mentem.[1] Roy Iuppiter (respondit Priapus defleublant son capussion, la teste leuée, rouge, flamboyante, & asseurée) puis que l’vn vous comparez à vn chien abayant, l’aultre à vn fin freté Renard, ie suis d’aduis, que sans plus vous fascher ne alterer, d’eulx faciez ce que iadis feistez d’vn chien, & d’vn Renard. Quoy ? demanda Iuppiter. Quand ? Qui estoient ilz ? Ou feut ce ? O belle memoire, respondit Priapus. Ce venerable pere Bacchus, lequel voyez cy à face cramoisie, auoit pour soy venger des Thebains vn Renard fée, de mode que quelque mal & dommaige qu’il feist, de beste du monde ne seroit prins ne offensé. Ce noble Vulcan auoit d’Ærain Monesian faict vn chien, & à force de souffler l’auoit rendu viuant & animé. Il le vous donna : vous le donnastes à Europe vostre mignonne. Elle le donna à Minos : Minos à Procris, Procris enfin le donna à Cephalus. Il estoit pareillement fée, de mode que à l’exemple des aduocatz de maintenant il prendroit toute beste rencontrée, rien ne luy eschapperoit. Aduint qu’ilz se rencontrerent. Que feirent ilz ? Le chien par son destin fatal doibuoit prendre le Renard : le Renard par son destin ne doibuoit estre prins[2]. Le cas fut rapporté à vostre conseil. Vous protestatez non contreuenir aux Destins. Les Destins estoient contradictoires. La verité, la fin, l’effect de deux contradictions ensemble feut declairée impossible en nature. Vous en suastez d’ahan. De vostre

  1. « Et ta mentule a de l’esprit. » Jeu de mots entre mentula et mens, esprit, intelligence. Voy. ci-après la note sur la p. 263.
  2. Voyez Pollux (Onomascicon, v, 5) et Pausanias (IX, 19). Furetière a reproduit ce récit à la fin du Roman bourgeois (liv. II, p. 132, éd. Jannet.) : « Le hazard voulut qu’un jour le chien fée fut lasché sur le lièvre fée. On demanda là-dessus quel seroit le don qui prévaudroit : si le chien prendroit le lièvre, ou si le lièvre échapperoit du chien, comme il estoit écrit dans la destinée de chacun. La résolution de cette difficulté est qu’ils courent encore. »