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chapitre ii

reputent eſtre on monde nées non pour ſoy ſeulement : ains de leurs propres perſonnes font part à leur patrie, part à leurs amis.

De force, en abaſtant les gros arbres, comme vn ſecond Milo : ruinant les obſcures foreſtz, teſnieres de Loups, de Sangliers, de Renards : receptacles de briguans & meurtriers : taulpinieres de aſſaſſinateurs, officines de faulx monnoieurs, retraicte d’hæreticques : & les complaniſſant en claires guarigues & belles bruieres : iouant des haulx boys[1], & præparant les ſieges pour la nuict du iugement.

De Temperance : mangeant mon bled en herbe, comme vn Hermite, viuant de ſallades & racines : me emancipant des appetitz ſenſuelz : & ainſi eſpargnant pour les eſtropiatz & ſouffreteux. Car ce faiſant, i’eſpargne les ſercleurs qui guaignent argent : les meſtiuiers, qui beuuent voluntiers, & ſans eau : les gleneurs, es quelz fault de la fouace : les baſteurs, qui ne laiſſent ail, oignon, ne eſchalote es iardins par l’auctorité de Theſtilis Virgiliane[2] : les meuſniers, qui ſont ordinairement larrons : & les boulangiers, qui ne valent gueres mieulx. Eſt ce petite eſpargne : Oultre la calamité des Mulotz, le deſchet des greniers, & la mangeaille des Charrantons & Mourrins. De bled en herbe vous faictez belle ſaulſe verde, de legiere concoction : de facile digeſtion. Laquelle vous eſbanoiſt le cerueau, eſbaudiſt les eſpritz animaulx, reſiouiſt la veue, ouure l’appetit, delecte le gouſt, aſſere le cœur, chatouille la langue, faict le tainct clair, ſortifie les muſcles, tempere le ſang, alliege le diaphragme, refraiſchit le foye, deſoppile la ratelle, ſoulaige les roignons, aſſoupiſt les reins, deſgourdiſt les ſpondyles, vuide les uretères, dilate les vaſes ſpermaticques, abbreuie les cremaſteres, expurge la

  1. Iouant des haulx boys. Équivoque sur ceux qui coupent des bois de haute futaie.
  2. Theſtilis Virgiliane.

    Thestylis et rapido fessis messoribus æstu
    Allia serpyllumque herbas contundit olentes
    .

    (Églogues, ii, v. 10)