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Page:Rabelais marty-laveaux 03.djvu/39

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chapitre vii

faire vn tronçon de bonne chere à la ruſtique. Durant leur propos & demeure, le cheual s’adreſſa à l’aſne, & luy diſt en l’aureille, car les beſtes parlerent toute icelle annee en diuers lieux. Pauure & chetif baudet i’ay de toy pitié & compaſſion. Tu trauailles iournellement beaucoup, ie l’apperçoy à l’vſure de ton bas-cul : C’eſt bien faict, puis que Dieu t’a creé pour le ſeruice des humains : Tu es baudet de bien. Mais n’eſtre autrement torchonné, eſtrillé, phaleré, & alimenté que ie te vois, cela me ſemble vn peu tyrannique, & hors les metes de raiſon. Tu es tout heriſſonné, tout hallebrené, tout lanterné, & ne manges icy que longs, eſpines, & durs chardons. C’eſt pourquoy ie te ſemonds baudet ton petit pas auec moy venir, & veoir comment nous autres que nature a produits pour la guerre, ſommes traittez & nourris. Ce ne ſera ſans toy reſentir de mon ordinaire. Vrayement, repondit l’Aſne, i’iray bien volontiers monſieur le cheual. Il y a, diſt le rouſſin, bien monſieur le rouſſin pour toy baudet. Pardonnez moy, reſpond l’Aſne, monſieur le rouſſin, ainſi ſommes en noſtre langage incorrects & mal apprins nous autres villageois & ruſtiques. A propos, ie vous obeïray volontiers, & de loing vous ſuyuray de paour des coups : i’en ay la peau toute contrepointee, puis que vous plaiſt me faire tant de bien & d’honneur.

La bergere montee, l’Aſne ſuyuoit le cheual en ferme deliberation de bien repaiſtre aduenans au logis. Le pallefrenier l’apperçeut & commanda aux garſons d’eſtable le traicter à la fourche, & l’eſrener à coups de baſtons. L’Aſne entendant ce propos ſe recommanda au dieu Neptune, & commençoit à eſcamper du lieu à grand erre, penſant en ſoy-