Page:Racan Tome I.djvu/387

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tement que j’ay de recevoir de vos lettres. Je pensois que, quelque paresseuse que vous soyez d’écrire, vous me seriez plus libérale d’une faveur qui vous couste si peu, et encore que je sois le plus indigne sujet à qui vous puissiez penser, je m’imagine qu’en la solitude où vous estes maintenant, vous avez assez d’heures inutiles pour m’en donner quelques-unes. Il faut que je vous avoue qu’il m’est insupportable de vous voir préférer la compagnie des bois et des rochers à la mienne. Plus je pense au sujet qui vous retient à la campagne, et plus je trouve de raisons qui vous obligent à revenir voir Paris, hors duquel il n’y a point de salut pour les belles, ny pour les honnestes gens. Ny le soin de conserver une maison ou une seigneurie, ny les tendresses d’amitié que monsieur votre père vous tesmoigne ne sont point raisons qui vous doivent faire préférer le séjour des bestes à celuy des dieux. Certes, madame, les larmes me viennent aux yeux toutes les fois que je pense qu’il faille qu’un esprit faict comme le vostre soit réduit à entretenir des gens qui n’ont jamais veu le Louvre qu’en peinture, et qui parlent du Cours et des Tuilleries comme nous parlerions de la situation de Goa ou des promenoirs du roy de Narcingue. Peut-estre qu’à l’instant mesme que vous recevrez cette lettre, quelqu’un est en peine de sçavoir de vous combien M. le Grand a de coudées de haut au-dessus de la taille ordinaire des autres hommes, ou quelque autre s’imagine qu’un roman est l’histoire des Romains ; et comme vous vous efforcez de respondre à ces impertinentes questions, un troisième vous interrompt pour vous