Page:Rachilde - À mort, 1886.djvu/114

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sur le boulevard, c’est que le bruit des tramways avait failli maintes fois lui causer un ébranlement nerveux. Elle s’enterrait résolument dans sa maison immense et prétendait y être bien comme on peut l’être en une tombe creusée pour trois. Elle avait soixante-dix ans, des mains idéales, le regard vif, jurait par le comte de Chambord et se vantait de prédire la mort de ses ennemis. Ainsi Gambetta était mort parce qu’elle l’avait voulu.

Elle s’habillait d’un peignoir Wateau en véritable point d’Alençon qu’elle donnait à jaunir dans une boutique spéciale.

Une fanchon de tulle rose couvrait ses cheveux blancs bouclés au fer ; un soulier mordoré, d’une exiguïté merveilleuse, lui serrait la cheville. Elle avait encore toutes ses dents, moins celle qu’elle avait dernièrement cassée sur une praline à l’ambre ; et si elle usait du fard, c’était avec une telle discrétion que cela ne choquait personne.

Une fois l’an, elle recevait quelques amis. Deux vieux généraux, le médecin de la famille, un savant bibliothécaire, des femmes de son âge et de son rang, dont l’une était complètement sourde.

Le comte de Bryon introduit ainsi par faveur, chaque soir, s’asseyait sur un tabouret bas, grignotait le bout de la main qu’on lui tendait, et la conversation commençait, effleurant les bruits de la ville, les nouvelles des guerres lointaines, les cancans de salons à la mode.

La duchesse, armée d’un éventail ayant appartenu