Page:Rachilde - À mort, 1886.djvu/17

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éducation, elle ne raconta point ce rêve. D’ailleurs quand les jeunes filles se forment, disait-on devant elle, les jeunes filles ont des rêves étranges. Il était diablement étrange ce rêve et apportait avec lui un trouble peu charmant.

De semaine en semaine elle eut ce cauchemar : elle se mettait à la fenêtre, le noyé faisait de grands gestes désespérés ou bien levait la tête, une tête verte et gonflée ; de son côté, la pauvre demeurait là, cramponnée à cette fenêtre, le lendemain elle se réveillait dans son lit. Ce qui étonnait surtout Rachilde c’était devoir fleurir quand même les pervenches et les roses près de la mare à jamais empestée du souffle du mort. Rachilde obsédée d’une idée fixe, voulut un jour avoir le cœur net au sujet de ce rêve maudit, elle s’approcha de la mare… et tomba dedans, en criant : Maman ! On fit courir le sot bruit qu’elle s’était suicidée… Mais non…

Une simple imagination de jeune fille qui se forme, n’est-ce pas ?…

Elle prit un petit rhume, ce fut tout ce qu’elle sut du noyé.

Alors elle se mit à lire beaucoup, elle épuisa la bibliothèque de M. Feytaud, juge de paix à Thiviers (Dordogne). Son grand-père avait trois mille volumes au moins. Elle apprit des choses inutiles, mais comprit à peu près la superbe ironie de Voltaire (relié en veau chagriné avec fers à froid orné de rouge napolitain sur les tranches). Cette ironie lui fut d’un bon secours contre son obsession, les conseils du curé ne suffisant plus. Ainsi de radieuses pensées peuvent servir à combattre une idée obscure… qui demeure tenace malgré ces coups de rayons, car rien n’est tenace comme l’absurde !

Elle avait même essayé, la jeune fille bien élevée, de