Page:Rachilde - À mort, 1886.djvu/18

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s’enamourer d’un héros quelconque, entendant dire que l’amour est le consolateur des affligés ; mais l’amour idéal est une chimère, les chimères ne se mangent pas entre elles.

Rachilde était touchée par l’incohérence ; sa pâleur s’accentua davantage. « Ne parle jamais ! hurlait la voix de l’Inconnu. Qui donc ici comprendrait l’immensité de ton trouble ? trouble pareil à celui de cette eau glauque au fond de laquelle il n’y a rien… rien !… »

Adieu la poésie tranquille ! Adieu les courses au chapelet dans les bois. Adieu la douceur d’Eugénie Sauvinet ! Adieu les petits paysans sales ! Adieu les chevaux blancs, les américaines que l’on conduit seule le fouet à la main ! Adieu les couronnes de pâquerettes ! Adieu le ciel ! Adieu les amours enfantines nimbées de cheveux fluides… adieu la sainte Vierge ! Adieu… Rachilde se détourna de l’eau pour se précipiter sur un verre de poison, elle fut bien malade et eut à vomir d’une façon vulgaire !… Sa rage de suicide la prenait chaque fois que le noyé se représentait, et ce gueux (bien que depuis longtemps la jeune fille eût acquis le droit de se marier) revenait, revenait comme un revenant quoi ! Ah ! s’il était permis de tuer les morts !…

On s’acharnait à la sauver, naturellement, et elle en voulait au genre humain pour cela. Elle devint lunatique, assommante, parla de Paris… on essaya de la marier, elle s’y refusa énergiquement. Tantôt le prétendu avait de l’embonpoint, tantôt il était trop maigre, ou elle voulait se faire religieuse, ou elle désirait visiter la Chine : bref, la folie et quelle folie ?… toutes les phases ; magie, spiritisme, mysticisme, les chats noirs et les merles blancs, les coups de fouet aux domestiques, les colères contre la famille ahurie, pardessus le marché la bravoure à outrance, bravoure de soldat