Page:Rachilde - À mort, 1886.djvu/206

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— Pourvu que je ne me mette pas à crier, se dit-elle, saisie d’une angoisse. Elle se courba sur la balustrade du pont, le clapotement de l’eau lui vint, sinistre, à l’oreille ; l’eau murmurait autour du palais de ses noyés des choses mélancoliques, c’était un mélange de sanglots doux et de vagissements d’enfants. Les becs de gaz formaient de place en place un grand rond clair sur cette onde couleur d’encre, alors on la voyait à ces places fouettées par la pluie, moutonnante, écumeuse, comme essayant de se révolter à la sourdine.

Berthe ne voulait pas tomber dans l’inconnu, elle choisit un endroit clair, près d’un candélabre. Elle se recueillit une minute.

— Il le faut, songea-t-elle, les bras crispés par une subite frayeur.

Et elle essaya de sourire.

— Bah ! fit-elle, puisque je suis déjà si mouillée !

Elle monta toute droite sur le piédestal du candélabre et se retint encore à cette colonne de fer. Il lui sembla que quelqu’un l’appelait alors dans le vent, mais elle ne daigna point se retourner.

Elle traça le signe de la croix sur sa poitrine : la simple pensionnaire, qui existait toujours dans la jolie Parisienne trop gâtée, n’avait pas oublié complètement ses prières depuis son mariage. Berthe pria :

« Notre père… que votre nom soit sanctifié… » récita-t-elle doucement, se laissant glisser peu à peu à l’abîme.