Page:Rachilde - À mort, 1886.djvu/22

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d’une voiture offerte dans un baiser derrière les manteaux du vestiaire. Cordieu ! l’effroyable haine montante et débordante ! Quelle rage implacable ! quelle envie de crier à ces femmes qu’on aborde le sourire aux lèvres :

« Mais malheureuse… je n’ai pas de diamants, moi !… et je suis jeune, je ne suis pas laide. » Quel désir intense de hurler devant M. le rédacteur un tel ? « Eh ! va donc, vendu !… »

Ignoble, n’est-ce pas, l’indignation de l’enfant pauvre qui veut du gâteau ? Comment pardonner à cette créature le regret qu’elle a, de temps en temps, de ne pas être aussi sale que la prostituée d’à côté ? Mon Dieu ! Rachilde s’arrêtait souvent le long des parapets des ponts regardant, du fond de l’abîme plus fangeux de la Seine, se lever le noyé de jadis.

À l’eau ! la fille sans cœur qui ne sait pas dans une sage répartition de son être donner de baiser et prendre le bien qu’on lui tend ; et si cela est lamentable, cela est aussi immoral, car cette créature a sans doute une affection… qui ne lui rapporte pas.

M. Détroyat, ex-directeur de l’Estafette, après avoir offert une collaboration payée dans un de ses nombreux journaux, prétendit que cette pauvre Rachilde entendait de travers ce qu’on lui disait et se plaignait de persécutions imaginaires… il abandonna naturellement sa protégée quand elle aurait eu le plus besoin de ses appointements… aussi Rachilde ne se plaignit plus ! Tant pis pour toi… petite… tes écrits sont légers, légère tu dois être, eh ! saute, enfant, sur les genoux de nous, les hommes miséricordieux !

Mais elle a gardé bien avant dans son cœur le bon sourire de madame Détroyat, une nièce des de Girardin, spirituelle comme eux, et si elle doit ses débuts heureux à quelqu’un, c’est à la femme, non au mari.