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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/14

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une chose fabriquée par plusieurs générations d’hommes. Les gens savants avaient fait des philosophies à leur taille, tandis que surgissaient des femmes, spontanément, des instincts qui devaient être les naïves formules de la vérité. D’en haut, d’en bas, elles arrivaient, ces révélations, à l’heure du calme, des mystères, vers minuit, et rien ne disait que les idées du jour fussent les meilleures. La jeune femme, plus particulièrement, sans doute, se dédoublait en deux existences : la diurne, la nocturne ; et elle finit par conclure que, peut-être, pour elle, il faudrait dormir le jour, agir la nuit. Si le repos ne s’obtenait qu’à ce prix, elle changerait l’emploi de son temps, voilà tout.

Assise sur un fauteuil de bambou qui se balançait, elle heurtait le tapis de l’orteil, pour accélérer le mouvement, et elle se demandait s’il y avait beaucoup de créatures comme elle, éveillées près des dormeurs. Évoquant des silhouettes féminines, elle les groupait autour de son fauteuil, dans des poses méditatives, les unes sournoises, les coudes enfoncés aux plis des traversins, regardant l’époux d’un œil railleur qui détaille même dans l’ombre ; les autres, fanfaronnes, la jambe crispée, prêtes à bondir, à fuir aux rendez-vous des incubes ; d’ailleurs toutes des honnêtes amantes, comme elle, ne rêvant pas d’un nouvel amour : tout simplement des rêveuses d’impossible. Combien d’hommes inquiets, à cette heure de minuit, pour combien de femmes parcourant pieds nus les chambres à