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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/15

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coucher ? Oh ! certes, il y avait les travailleurs et les noceurs, ceux-ci bâillant, ceux-là faisant de vilaines choses ; mais, de ce tas d’individus vulgairement occupés, elle ne s’enquérait pas, elle songeait aux hommes qui veillent en regardant d’un regard aiguisé les idées fantastiques qu’éclaire la lune, ou qui se promènent, sans but avoué, dans le noir d’encre des nuits hermétiquement fermées à tous les rayons du ciel, qui se promènent en cherchant la fin d’un tourment sans se plaindre tout haut, sans s’écrier, avec la brusquerie intempestive qui les caractérise : « Mais, sacrebleu !… Quelle heure est-il ?… »

Oui, pour les hommes, il y a des heures. Le temps se subdivise en des raisons d’être… le temps, l’éternité, ce qui n’a pas de raison d’être… « À telle heure, dit ce Monsieur, je me lève et je suis honnête. » « À telle heure, dit le second Monsieur, je me couche et ne suis pas honnête. » N’y a-t-il pas un ridicule immense à marcher ainsi de belles actions en actions moins belles à coups de balancier ? Cette femme anxieuse sentait qu’il n’y avait pas d’homme, à cette minute de suprême énervement, qui fût en communion de pensers avec elle. Ils avaient tous une raison d’être debout, de veiller, et quand la raison s’en allait, ils retombaient bien vite au néant, dans le plein noir du sommeil. Ce lui était une supériorité sur eux, si elle en souffrait, cette veillée funèbre, à propos de rien, et elle s’étendait, trônant, se balançait toujours silen-