Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/141

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Les vieilles dames, la tante et madame Lordès, étaient à la cuisine, absorbées par des discussions de ménage. Laure demeurait devant son piano, les mains jointes, au milieu du clavier, ne jouant plus, comme pétrifiée, tâchant de saisir ou la dernière vibration d’une note, ou le bruit des pas d’un homme qui fuyait le long de la rue.

L’avait-elle donc entendu sortir ?

Henri hésita.

Cette fille allait-elle devenir la victime d’une odieuse vengeance de domestique renvoyé ? Lui salirait-il l’imagination en la questionnant au sujet de pareilles choses ?

Cette fille charmante, selon l’expression du monstre, et pourtant horrible ! Comme elle gardait bien une attitude de gamine en train de déchiffrer un morceau compliqué, avec sa grosse natte flottante, ses paupières mi-closes et sa bouche se serrant contre ses dents fines qu’on apercevait s’incrustant brillantes à travers de la pourpre ! De quels termes se servirait-il, lui, le fiancé, vis-à-vis de la jeune fille chaste ?

Et seulement, ce jour-là, en pensant à l’épouvantable plaie de ce borgne, il se dit qu’elle avait de beaux yeux, des yeux comme jamais il n’en rencontrerait d’autres…

— Mademoiselle, balbutia-t-il, s’approchant, je désire vous parler… tout de suite, oh ! tout de suite…

D’un mouvement rapide, elle pivota sur son ta-