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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/177

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ombres vagues de ce crépuscule, se dit qu’elle n’était sans doute pas une femme comme les autres ; elle se découvrit une spéciale nature de brute, des entrailles de bête correspondantes aux instincts délicieux du petit chat, car les chats sont, dit-on, tout simplement des esprits dévoyés qui rôdent, vêtus de fourrure, pour s’efforcer de reconquérir leur ancien corps féminin.

Sept heures sonnèrent. Laure se leva, s’essuya les yeux :

— Puisqu’il ne m’envoie pas de télégramme, murmura-t-elle, c’est qu’il reviendra ! Il ne peut pas m’oublier à ce point. Je vais lui préparer une surprise, nous dînerons ici.

D’un mouvement vif, elle rejeta la grosse natte de ses cheveux en arrière, et, changeant d’idée, se persuadant qu’il allait rentrer tout de suite, organisa leur couvert sur un guéridon léger. Elle possédait deux assiettes japonaises, un plat de vieux Rouen, des verres vénitiens et une nappe russe ; elle installa, au milieu de la table, un cornet de cristal plein de fleurs, rapprocha deux piles de coussins, alluma la lampe, toute heureuse maintenant de songer qu’elle faisait le ménage comme sa vraie femme. Puis elle courut mettre un chapeau et noua une écharpe sur son peignoir de mousseline blanche. Elle prit son minet, le glissa dans un panier élégant destiné au port de ses friandises, que de temps en temps elle allait acheter pour ses dînettes particulières, et descendit ses six étages le