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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/19

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minées bourgeoises de briques et de pierres, profilant des corps énormes, sans taille et sans bras, corps de décapités, les bras liés au dos ; toutes les cheminées travailleuses, l’armée des maigres, des lointaines, des indécises, à peine esquissées dans des profondeurs folles, dont les escadrons sont commandés par les géantes cheminées des usines.

La jeune femme entendit gratter sur le verre dépoli, et le trottinement velouté recommença ; un objet blanchâtre, à peine se détachant de la surface du toit, se mit à glisser furtivement ; deux points brillants, qui avaient des bonds d’étoile filante, sautèrent par le ciel en décrivant des orbes allongés autour de la tête de la femme. Ce chat s’effrayait et s’amusait à la fois de cette tête posée au ras de la toiture comme une boule préparée pour le jeu. Chevelue, la boule l’intriguait surtout par sa queue superbe. La brise épandait en tous les sens les longues mèches de cette chevelure noire de la jeune femme, voilant sa physionomie où ses yeux ne brillaient plus, semblaient deux trous. Le chat s’approchait, une des pattes de devant repliée, prêt à se sauver si la boule lui devenait hostile, mais elle ne remuait pas ; et alors il la flairait, les moustaches hérissées, plongeant dans les deux trous noirs ses deux points brillants, se demandant si par ces trous on n’apercevrait pas les mystères humains, le mot de l’énigme du monde ! Et brusquement, le chat rebondissait ; il repartait, la queue en cerceau, l’échine arrondie, les oreilles couchées