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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/200

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époques civilisées, des époques caoutchoutées, électrisées, grattées, polies, et mécaniciennes. Laure avait aimé Henri après avoir dédaigné les brutes, ses pareils, ou les fous, ses esclaves. Là-bas, au pays du soleil, le paysan Marcou s’éteignait d’un mal de langueur que les Pauvinel, ses robustes parents, croyaient être un sort jeté sur leur fils, un si solide gars de trente ans ! Lucien Séchard s’était tué, le pauvre borgne ; Armand de Bréville, presque dément, avait des hallucinations terribles en disant sa messe, appelait Laure au lieu d’appeler Jésus-Christ… Et plus tard, quand sonnerait l’heure des triomphes du dompteur, quand le mâle rêvé, le mâle existant, s’approcherait enfin de la jeune femme pour en prendre une possession décisive, elle ne le reconnaîtrait pas, son cœur brûlé inutilement ne flamberait plus, et il serait sans doute réduit à l’accouplement instinctif des bêtes… eux qui auraient dû régénérer l’espèce, être comme l’Adam et l’Ève d’un nouvel amour !…

Laure courait dans la nuit parisienne, se heurtant aux becs de gaz et embarrassant la natte de ses cheveux aux épaules des voisins. Sur le boulevard Saint-Germain, un homme l’accosta :

— Sacredieu, c’est à vous tout ça, mon bébé…

Laure cria de rage :

— Non, c’est à lui, à lui et il n’en veut plus, il est parti !…

Très sérieux, croyant qu’il avait affaire à une