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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/204

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de son triste isolement, loin de son amour qui était toute sa société, elle finissait par s’empoisonner doucement. Elle s’enivrait, se stupéfiait au parfum de sa chair, se troublait aux vapeurs malsaines de son rang. Demeurer avec elle-même, c’était lutter contre son plus effroyable ennemi. Et pourtant elle se savait maîtresse absolue de ses actions, personne ne la tentait ni ne la provoquait. Tout enfant, Laure avait eu peur déjà de la solitude, sa mauvaise conseillère, elle avait eu des attaques de nerfs pour une bougie éteinte le soir, pour une chambre trop vaste où il fallait dormir, pour une cour sombre, en descendant à la cave, en traversant la campagne déserte, et elle ne s’expliquait encore pas si ces attaques avaient été un excès de plaisir ou un excès de frayeur ; elle craignait d’être seule comme on craint de mal faire, et des frissons de joie la secouaient lorsqu’elle pensait que, de nouveau, étant une femme, elle aurait encore de ces peurs dangereuses. — Ces sortes de créatures toujours prêtes pour la chute et que l’ombre de la tristesse suggestionne sont des échantillons de la famille des sensitives, mais des sensitives carnassières, de celles qui, bâillant de la fleur ou de la feuille, gobent les insectes au passage. N’ayant pas le moyen de la locomotion, elles étouffent la mouche dès qu’elles la tiennent, sinon se dessèchent de n’avoir plus rien à étouffer dans leur coin de nature ténébreuse.