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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/211

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et ses mains lâchèrent brusquement les pierreries… Laure ressentit comme une douleur, et ensuite eut un rire sanglotant pareil aux plaintes de la brise, pareil aux pleurs de la cloche, car c’était cela le malheur de toute la vie, chez les pauvres, chez les riches, dans les abîmes ou près du ciel. C’était cela le mal de la chair !… Épouvanté, le jeune ouvrier bondit, criant, jurant, ivre de joie et de dépit, ne s’expliquant pas ce qui arrivait, mais disposé à croire tout possible. En se grisant de lui-même il avait, parbleu, rêvé d’une jolie catin qui lui faisait invite, et la femme pouffant de rire, les cheveux flottants, les bras nus, il la lui fallait. D’où lui tombait-elle ? des nuages ? elle riait ! C’est parce qu’elle voulait bien… Il bouscula sa table, les bijoux ruisselèrent aux quatre coins de la mansarde, et il enjamba la fenêtre d’un saut de chat-tigre, mais Laure fuyait déjà, s’élançait sur le filet de fer tendu au-dessus de la cour intérieure, traversait les toitures, s’accrochant de cheminée en cheminée ; elle fuyait, légère, aérienne, tout comme une vraie vision. Sur le plafond de l’atelier, elle disparut en une trappe, s’engloutissant dans un truc de féerie, cette fée du mal, cette capricieuse mauvaise ange portant une robe de feu et suivie de la sombre traîne satanique d’une chevelure infernale. Le garçon, la sueur aux tempes, secoué de frissons nerveux, les bras ouverts, s’arrêta contre la balustrade du petit toit de l’atelier. Plus personne ! Il avait rêvé, à moins que ce fût