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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/251

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plomb, la tirait par derrière ; sa tête, si lourde » reglissa sur l’oreiller, une violente douleur aux tempes la fit crier, puis elle dit, s’exaspérant :

— Laissez-moi, je ne suis point malade. Où est Lion ?

— Il est sur le lit, mon enfant, il dort. Oh ! vous n’avez plus la fièvre, il faut faire comme lui ; du repos, du repos !…

Et le médecin sortit. Laure baissa les paupières, s’assoupit malgré elle, pensant qu’elle avait dû, selon les prévisions d’Henri, s’écraser dans la rue en courant les toitures. Si elle allait se retrouver infirme, les jambes brisées ?

Elle voyait défiler, devant elle, une série d’images grotesques nageant dans du rose et du jaune, beaucoup de jaune. D’abord un garçon de dix-huit ans, maigre, avec des pieds poilus comme un satyre et portant une veste de toile et une casquette ; il prenait Henri à la gorge, Henri s’évanouissait peu à peu en chimère grimaçante dans la fumée de son cigare, il ne restait plus qu’un rideau de fumée très épaisse, puis le rideau se déchirait, fuyait en spirales et apparaissait une ville immense qui s’étendait en bas d’une terrasse. La terrasse montait, montait dans les nues constellées de pierres précieuses ; la lune s’approchait, fabuleuse, toute en or, et un chat noir, bombant le dos, venait y faire ses griffes. La malade se sentit s’envoler lentement de la terrasse ; elle plana un instant, les images prirent des teintes