Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/269

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amour de rustre lui donnait de l’appétit, elle voulait y goûter en plein champ, s’imaginant que ce serait meilleur, comme le lait frais doit être meilleur bu dans une sébille de bois. Chez elle, c’était trop capitonné, trop cocotte, et les souvenirs lui auraient rendu la fièvre. Elle sortit de sa chambre, fredonnant : mais en traversant le salon, elle eut un frisson d’horreur… Oh ! ce vide, ces tentures arrachées des clous et y laissant des lambeaux, cette fenêtre sans rideaux, béante, ce parquet sans tapis, gris de poussière… C’était cela son existence présente, un vide à traverser perpétuellement, et il fallait le faire en courant ou accompagnée d’un joyeux camarade, pour n’en pas tomber de désespoir. Elle descendit l’escalier comme un tourbillon.

Auguste guettait dans un coin de rue. Il ne s’était pas trop adonisé, heureusement, portait un costume ordinaire et une casquette posée correctement, se tenait raide, le visage tout froncé par une anxiété mortelle. Quand il l’aperçut, il devint très pâle, ça le bouleversa. Il répéta, la voix éteinte :

— Oh ! ce que vous avez du vice, vous ! On dirait ma cousine, parole d’honneur !

— Celle qui ressemble à une limande tant elle est plate ? riposta Laure, lui pinçant le coude.

— Ne me taquinez pas, mademoiselle Laure, je déménage, vous savez !…

Ils prirent le bateau et s’arrêtèrent au Point-du-Jour, où la jeune femme débuta par acheter de la