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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/283

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langueur s’était déjà emparée de la belle bête, qui devenait maussade, dédaignait tous les jeux, et s’étirait en des poses d’hystérique avec des bâillements fous. On se chauffait mal, Laure avait mis ses derniers bijoux au Mont-de-Piété, s’endettait à présent chez ses fournisseurs. Ils demeuraient des jours couchés dans leur lit, grelottant, se serrant davantage, ayant tous les deux ils ne savaient quelles crispations de mauvais augure. Lui la contemplait désespérément, devinant, d’instinct, des choses horribles couvant dans l’atmosphère ténébreuse, et Laure, toujours fataliste, lui souriait, s’amusait encore de lui en dépit de la faim qui la torturait, du froid qui lui voilait l’avenir d’un linceul blanc. Une fois, comme il se roulait dans sa main, ayant une vague envie de la griffer, grondant sourdement, elle osa jouer avec la mignonne corne de corail s’érigeant parmi les soies rousses de son ventre, et eut le geste moqueur de la tourner contre leur infortune, la jettatura ! Le soir de ce jour, Lion, peut-être offensé, l’air morne, grimpa péniblement l’échelle qui conduisait au toit. Elle ouvrit le vasistas, il regarda la lune, miaula tout d’un coup, bondit les poils hérissés, puis se sauva en poussant de sinistres hurlements, de ces cris bizarres qui vous font croire à des tueries.

Laure l’attendit le lendemain pour déjeuner. Il ne vint pas. Elle attendit toute une semaine.

— Il aura trouvé une jolie chatte ! pensait-elle, indulgente.