Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/285

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en dehors de leur occupation normale du broiement des hommes ! Et maintenant elle donnerait l’amour en échange de l’argent, et elle serait toujours dupe dans ces honteux marchés, l’une prodiguant l’art de la vie, l’autre ne procurant que la vie ! Déjà elle avait été dupe en étant aimée, à présent on ne l’aimerait plus, il lui fallait renoncer au plaisir pour elle-même. Dernière misère de la misère ! De nouveau l’inconnu entrerait chez elle, et, au lieu de s’imposer à lui, elle devrait le subir !

Elle se leva, fit le tour de l’appartement. Rien à vendre que des étoffes soyeuses de valeur nulle au Mont-de-Piété ; elle n’avait plus ni bijoux, ni dentelles, ni linge ; son seul beau costume, elle ne pouvait pas s’en défaire, car il allait lui être utile pour gagner son pain, et le risquer là-bas, c’était à peine manger durant une semaine encore ! Elle eut un sourire douloureux.

— Bien sûr ! Mimi est parti parce qu’il crevait de faim ! Voyons ! il faut choisir : m’écraser dans la rue en tombant du haut du toit ou chercher un homme. Il est clair que ce n’est pas ce chat qui peut me donner des rentes !

Elle ouvrit les placards, étala ses dessous de mousseline, reprisa en hâte des Valenciennes déchirées, rattacha des nœuds de rubans, secoua sa robe et son manteau. La robe, un fourreau de peluche brune rasée par l’usage, fut soigneusement visitée aux coutures ; c’était un costume de plein hiver, mais le mois de mai, très pluvieux,