Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/291

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distribuant des réclames, parce que ce camelot était mieux tourné que les hommes assis à côté d’elle… Au bout de sa dernière heure d’attente, elle demanda une seconde consommation, la moins grisante, un verre d’eau sucrée. Elle cherchait un suprême moyen de se faire voir, allait écarter les pans de son manteau, dont l’intérieur éblouissait comme une enseigne, lorsqu’un homme, traversant les groupes et portant des papiers, s’installa près d’elle.

Il semblait bien connaître ce coin-là, et, sous la lumière tendre du vitrail, il s’organisa séance tenante une sorte de bureau volant, bousculant un peu la table où la jeune femme posait son verre.

Tout de sombre vêtu, point en deuil cependant, puisqu’il ne portait pas de crêpe, il paraissait imbibé des pieds à la tête d’une encre épaisse. Assez grand, les épaules légèrement voûtées, bien pris de la taille, les jambes longues et fines, il n’était ni l’homme à la mode, ni l’homme riche, mais quelqu’un d’excentrique, tout en restant quelqu’un de comme il faut. Il avait le regard fouilleur, un particulier regard perçant, ne comptant guère par la nuance, mais tout en profondeur, des yeux qui, ne s’arrêtant pas sur vous, avaient tout vu déjà et semblaient vous revenir de loin.

Sa moustache un peu hérissée, rousse, très saurie à la fumée des cigarettes orientales qui donnent une teinte citrine, se relevait sur la bouche, la laissant toute nue, impudiquement sensuelle,