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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/35

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ments venus des quatre coins du monde, les viandes rehaussées de frottis d’ail et de poivre de Cayenne, les sauces aux piments rouges, persillées de fines herbes plus ou moins vénéneuses, les fromages à l’échalote, la charcuterie au vin blanc, faisaient leur ordinaire, et de cet ordinaire aurait frémi un viveur blasé. Chez ces gens sages, tristes un peu, l’un presque dévot, l’autre presque philosophe, se mixturaient des repas de Romains de la décadence, et ce régime diabolique n’agitait plus leur sommeil, ils ne trouvaient même plus de goût à rien.

Tout était fade pour un homme qui saupoudrait ses aubergines d’une légère pincée de poudre de chasse, système fécondant indiqué jadis par un paysan madré au retour d’une consultation épineuse, et tout paraissait permis à une femme qui introduisait dans les rôtis de mouton un tantinet de sel d’oseille, afin de les empêcher de se gâter, quand le gigot, étant gros, devait faire trois fois. L’été, sur le dressoir de cette vaste cuisine aussi fraîche que le réfectoire d’un couvent, s’étageaient les pastèques, les melons à demi vidés de leurs graines et remplis ensuite de vieille eau-de-vie ou de kirsch. L’hiver, des chapelets de champignons, de cèpes découpés comme des rondelles de cuir fauve séchaient sous des fumigations de bois de lavande, recélant, dans leur causticité d’amadou, de véritables incendies d’estomac. Des bouteilles à large goulot contenaient le cornichon des pays