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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/52

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commissions chez les fournisseurs. Tantôt la petite une telle l’avait priée d’avertir sa mère qu’elle était en retenue. Aux leçons, elle récoltait des nouvelles des frères par les sœurs. Elle savait à quel endroit Jacques jouait aux billes, et quelles rues prenait Jean pour aller au catéchisme. De la sorte, elle se trouvait perpétuellement en retard. Le catéchisme était un rendez-vous merveilleux. Ça réussissait vis-à-vis de tout le monde, et puis les filles, les garçons pouvaient se mêler, on ne les blâmait pas en les voyant se grouper sur la place du parvis. Les bonnes se mettaient à jacasser de leur côté, pendant qu’on se glissait des billets entre grands et qu’on se poussait du coude entre plus petits. Au catéchisme, parmi les bousculades avec les chaises vides, Laure préparait ses recrues, fixait son choix, leur offrait des images de piété dont elle garnissait son carton à dessin. Elle avait des allures si serpentines, des gestes si souples, si enveloppants, qu’il eût fallu être bien sot pour lui résister.

Quelques-uns, sentimentaux, lui juraient un serment d’amitié pour la vie. D’autres, jaloux, pleuraient quand elle leur faisait une infidélité. Selon les tempéraments, elle était leur petite mère ou leur petite femme, mais presque toujours elle s’adressait aux gamins plus jeunes qu’elle, redoutant les garçons déjà formés, de treize et quatorze ans, qui la regardaient sous le nez avec des grimaces railleuses ou obscènes. À ceux-là elle imposait le respect