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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/66

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marier, malgré l’apparente ingénuité de ses dix-sept ans, Laure n’avait plus le prétexte des jeux enfantins pour apaiser ses fièvres ; elle ne passait plus ses vacances chez les Pauvinel. Ses classes terminées, ses compagnes, ses compagnons dispersés ou repris par la vie étroite de la famille, elle restait isolée entre un père toujours paperassant et une mère occupée de détails puérils. À l’étude, griffonnant, le nez collé sur son travail, toujours le même clerc, ce Lucien Séchard, surnommé le borgne, un infirme, dont l’œil rouge l’avait tant révolutionnée aux diverses époques de ses gamineries. Dans la rue, il ne passait personne…

Ce que Laure cherchait, c’était un esclave, un homme qui l’aimerait pour l’attrait du plaisir, qui ne gâcherait rien au courant de son existence de fille honnête, se soumettrait à tous ses caprices, surtout serait d’apparence ingénue comme elle. Et, en regardant le jeune abbé qui s’éloignait de la chaire, elle y songea. Derrière elle, sa bonne, une vieille créature embéguinée, espèce de sœur des pauvres, faisait un bruit monotone de lèvres en égrenant un chapelet.

Depuis le départ de la grosse cuisinière Louise, toute rebondie, qui s’esclaffait volontiers, on supportait cette sorte de chouette dans la maison, et rien ne réjouissait plus la cour silencieuse, les sombres feuillages de la vigne, les angéliques contre les murs aveugles ; rien ne semblait rire autour des Lordès, ni gens, ni animaux, ni plantes.