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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/86

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tira son mouchoir pour s’éventer. Lucien suçait le bout de sa plume avec une sorte de gloussement. Tout d’un coup, le rayon de soleil prit une mauvaise nuance plombée, un des volets se rabattit furieux sur l’autre, tous les cartonniers tressaillirent. Laure sauta jusqu’au bureau du clerc :

— Vous n’avez pas peur, vous ? j’ai cru qu’on entrait par la fenêtre ! Alors… c’est que vous n’êtes pas nerveux, quoi que vous en disiez…

— Ça dépend !… j’ai seulement des impatiences dans les jambes. Oh ! ça s’annonce bien… nous aurons un fameux orage.

Il se leva pour saisir une troisième feuille de papier. Un moment, ils se trouvèrent face à face dans une demi-obscurité. On ne voyait du jeune clerc qu’une forme de joli garçon, vêtu d’un complet pas cher, mais à la mode, une forme d’homme de dix-neuf ans, un peu mince, pourtant d’allures très viriles. Mademoiselle Lordès serra les dents sous le regard sinistre qu’elle devinait sans oser le chercher :

— Vous avez de la chance, monsieur Lucien. Moi, je tremble. Tenez…

Elle lui tendit les mains. Il hésita, le temps d’un éclair, puis, retombé à la pleine ombre, plus sûr de ses moyens d’action, le jeune homme saisit les mains qu’on lui offrait, attira la jeune fille contre sa poitrine haletante :

— Pourquoi tremblez-vous ? C’est peut-être aussi moi qui vous fais peur…