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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/92

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ter qu’il avait bien le poison dans les veines, et maintenant elle se moquait de lui.

Il se coucha en travers de la table, les poings crispés. Amoureuse du curé d’Estérac ! Quelle malédiction ! Ce manège durait depuis un an. Elle regardait là-haut le ciel, tandis que lui, en bas, baisait le bord de sa robe, mendiant une caresse. Le monde était vraiment trop mal fait. Elle, qui redoutait le scandale, s’adressait à une soutane et risquait de se compromettre, en pleine ville, devant la terrasse d’une cure ! Si ça continuait, elle se planterait toute nue au milieu de l’église, un jour de sermon…

Lucien, encore hoquetant, ramassa ses papiers, tria l’ouvrage du lendemain et termina une copie. De temps à autre, il se rappelait leur scène et se demandait comment il avait pu lui dire toutes ces choses. Elles étaient sautées de ses lèvres sans même qu’il s’aperçût de leur fuite. Quelqu’un avait parlé pour lui dans sa poitrine. Quelle histoire, mon Dieu ! Et jamais plus il ne retrouverait cette occasion… Cinq heures sonnèrent à la vieille pendule de marbre noir, où une justice pesait un sabre sur ses balances de bronze. Il tonnait effroyablement. Le clerc alla fermer la fenêtre, ouvrit la porte, car il étouffait. M. Lordès rentrait : un cabriolet le ramenait tout ruisselant, et l’on entendit les cris de commisération de madame Lordès qui se précipitait sur son mari pour l’éponger — et l’empêcher de salir l’escalier. Laure dit, du salon, très fort :