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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/91

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Il bondit, saisit un canif, sur le bureau :

— Je me fous bien que tu sois belle pour les autres, s’écria-t-il hors de lui, puisque je suis trop laid pour toi. Je vais t’aveugler !

Laure, épouvantée, s’élança vers la porte. Il courut après elle, s’empara de ses cheveux qu’il secoua brutalement.

Elle bégaya :

— Ce soir, ce soir, devant la croisée du salon. Oh ! mes yeux, mes yeux à moi… ne me crève pas les yeux, chéri…

Et, délivrée, car il avait jeté le canif, elle se sauva dans le corridor en rattachant son fichu.

Lucien Séchard, d’un pas chancelant, regagna son bureau. Il s’affaissa sur sa chaise ; un ruisseau de larmes coulait de son œil bleu, et l’autre, rouge comme une braise, lui cuisait de la plus atroce manière. Il s’épongeait la face avec son mouchoir, irritant cette plaie sans vouloir y faire attention, heureux de la creuser davantage, de l’envenimer jusqu’à se l’arracher une bonne fois.

Dans la cour, des gouttes d’eau tombaient, larges, sur les angéliques, et crépitaient, pleurs de l’orage après les pleurs d’amour ; tout sanglotait, tout s’effondrait autour de lui, et il avait bien prévu que cela finirait ainsi ! Il faisait trop chaud dans sa tête. Non, il n’irait pas au rendez-vous. À quoi bon, mon Dieu ! Les promesses coûtent peu quand on est une jolie fille, capable de mener la vie que Laure menait. Elle était venue pour consta-