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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/97

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servante reprenait son chapelet, marmottait une dizaine tout en poivrant un ragoût.

Un matin, Laure ouvrit le salon comme le jeune homme passait, et elle s’arrêta sur le seuil, désirant prononcer un mot : ils étaient vis-à-vis l’un de l’autre. Lucien fit tout de suite un geste fou, lança ses cheveux en arrière d’un tour de main rapide, et la jeune fille, hésitante, se souvint de ce qu’il voulait lui cacher. Elle referma la porte. Lucien monta en chancelant l’escalier de l’étude. Il était désespéré, car elle avait eu l’expression que l’on aura toujours à regarder un crapaud. Lucien pleura, le front plongé dans ses papiers timbrés. Le soir, à quatre heures, le notaire sortit et le laissa griffonner seul. Le clerc demeurait triste, et cependant il sentait venir quelque chose : derrière les murs de l’étude, derrière toutes ces paperasses poudreuses, un regard flambait. Laure le guettait, comme elle avait l’habitude, hélas ! de guetter le prêtre… Elle se détournait peu à peu de celui-ci pour examiner celui-là, qui l’aimait, ne fuirait pas ses prunelles de chaud velours et lui tendrait les bras… Lentement la porte du bureau s’ouvrit, ainsi que s’était ouverte la porte du salon le matin ; un frisson électrique secoua le jeune homme, et il l’aperçut, debout, le doigt posé sur ses lèvres. Il ne remua pas, ne dérangea pas son coude ni sa main, masquant son œil de son mouchoir tamponné.

— Vous avez donc mal à la tête, monsieur Lucien ? demanda Laure s’avançant, la voix douce.