Page:Rachilde - L’Hôtel du grand veneur, 1922.djvu/137

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Un vieux, au visage de craie, aux yeux de poisson mort, habillé d’un veston verdâtre en toile de bâche… Mais elle ne le vit même pas, tellement son compagnon absorba tout de suite, dans son regard noir, regard d’animal nocturne habitué à rendre dans l’ombre la lumière du jour, la clarté de ses yeux de turquoises. Était-ce un homme… ou un singe ? Ses bras longs et lovés comme des serpents de chair sur la table où il avait reposé son gobelet d’étain, il montrait, nu, un torse jeune, duveté, couvert d’une éclaboussure de sang étalée comme une décoration. La tête avancée, les mâchoires contractées, il regardait curieusement la femme qui le regardait fixement, et ni l’un ni l’autre ne voulait baisser les paupières. La bouche de ce garçon était épaisse et grave comme celle des sensuels qui s’ignorent encore ; elle accentuait son pli boudeur, mais s’étonnait et s’apprivoisait déjà. Les yeux guetteurs, anxieux, se recouvraient presque de la caresse d’un sourcil fourni, soyeux, bien arqué. Le personnage paraissait voir comme on prend. C’était le chasseur très plié d’avance aux ruses des bêtes, bête féroce lui-même, quand il était nécessaire de le devenir.