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Page:Rachilde - L’Hôtel du grand veneur, 1922.djvu/84

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choisis celle-ci pour vous endormir. (Il ramait lentement, la tenant couchée sur ses genoux, le bord de son peignoir effleurant l’eau, tandis que l’oiseau insolent, l’oiseau de Léda, battait l’air de ses ailes victorieuses.) Je passe la moitié de ma vie sur la mer. J’y suis maître, après Dieu, à mon bord, ce qui vous explique mon dédain pour vos petites existences terriennes. Tous mes domestiques ici sont étrangers et ne font partie d’aucun syndicat. J’ai un boy annamite qui me verrait te faire périr dans les supplices les plus horribles qu’il ne lèverait pas un doigt, un de ses doigts onglés longs de chat-tigre, pour intervenir. Il n’aime pas les femmes, lui, et je crois qu’il leur préfère l’opium… Non, je ne suis pas du tout un être tendre. Cependant, cette belle nuit-là, j’ai eu la plus fâcheuse impression de la guerre qu’on puisse en avoir quand on se fait vieux… L’eau, cette belle nuit-là, était toute lisse, comme celle de ce lac, une grande nappe de soie, mais qui respirait, qui tendait, par instant, des seins sous l’étoffe ! Pourquoi ris-tu… puisque tu pleurais à cause du cygne ? Oui, c’est cela ! Blottis-toi sur ma poitrine et joins tes mains sur la tienne pour me cacher… très peu de chose, en