Page:Rachilde - L’heure sexuelle, 1900.djvu/12

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cristaux scintillent étrangement qui ne sont pas dans la lumière. Je suppose un flacon rempli d’essence et le respire ; il est vide et une odeur de menthe se répand. Je pars de là heureux après quelques coups de peigne, un soin des moustaches, un étirement satisfait de tout l’être.

Je me porte bien et cela m’étonne, de temps à autre. Je me porte si bien que je ne me sens pas vivre. À trente-trois ans, je n’ai point encore éprouvé la petite secousse effrayante qui vous rappelle le heurt final. Non, je ne me sens pas vivre. Je nage perpétuellement dans une eau tiède et mes mouvements sont sans effort. Mes pieds ont perdu le fond depuis longtemps. J’ai des douleurs morales excessives qui me donnent la juste mesure de mon indifférence physique : elle est absolue. Rien ne peut rendre mon épouvante de cet état. Aucun malade ne possède la souffrance aiguë que me procure la conscience de ma sécurité. Je n’ai pas la comparaison pour me rassurer. J’ai essayé des pinçons, des piqûres et des brûlures. Il m’a bien semblé que mon corps se moquait de moi. Il demeurait calme, ironi-