Page:Rachilde - La Jongleuse, 1900.djvu/161

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masque noir, brillait lumineux et grave, des yeux de tigresse qui suit les jeux de ses petits, et qui s’efforce de montrer combien ils sont faciles à conduire dans l’existence.

Les couteaux passaient, repassaient, volaient, en faisant retentir un singulier bruit métallique. Ses petites mains puissantes ne se lassaient pas de les recevoir, de les lancer et de les recevoir encore, si bien qu’un moment, le rythme étant parfait, elles avaient l’air de tourner elles-mêmes autour d’une couronne des flammes bleues, une couronne des couteaux immobiles.

On applaudissait. Léon laissait la joie de la manifestation bruyante à ses voisins. Réfugié au dernier rang des invités, il gardait pour lui la douleur de la voir là, debout et jonglant, séparée de sa famille, de la société, du monde entier, de toute l’humanité par l’énigme de sa comédie perpétuelle.

Et il devinait bien qu’elle ne jonglait pas seulement en son honneur ou en leur honneur, elle jonglait pour s’amuser. On sentait vibrer en elle comme une autre lame à la fois perfide et passive. Elle s’amusait naïvement, absolument, du plaisir original qu’elle leur procurait, et il lui fallait aussi le désir aigu des regards pointés sur elle, toute la vibration d’une atmosphère chargée d’électricité amoureuse.