Page:Rachilde - La Jongleuse, 1900.djvu/187

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

amoureuse pour me laisser trahir. Vous m’aimerez, malgré vous, toujours !

Lorsque mon mari est mort, il y a cinq ans, j’ai recueilli chez moi, sans être y obligée par aucune loi, un pauvre bonhomme qui crevait de faim pour avoir été trop gourmand, et je lui ai dit : « Mangez, buvez, tenez-vous au chaud, vous portez le nom de celui qui me donna tout, je vous dois tout ! » Je fis chercher, sur ses indications, une petite fille de quinze ans, l’enfant de sa sœur, Mme Chamerot, que l’on avait mise en apprentissage chez une modiste, et je dis à cette fillette mal élevée, trottin dans l’âme : « Au lieu de faire des chapeaux, vous les achèterez pour les mettre sur votre tête et vous tâcherez d’oublier l’ancienne misère, avec vos petits mots d’atelier en vous instruisant. » Ces gens n’ont rien à me rendre… s’ils sont heureux (et je crois que mon beau-frère, tant qu’il y aura du champagne retour des Indes sera très heureux), mais je leur dois encore tout, une seconde fois, s’ils souffrent à mon sujet.

Vous comprenez, mon chéri, je suis un être doux… très conscient de mes actes. Aucune torture de l’âme, aucune joie du corps ne m’est inconnue, et c’est bien le moins qu’ayant touché silencieusement, dans le mystère de ma divinité, le fond de la douleur et le fond du