Page:Rachilde - La Marquise de Sade, 1887.djvu/19

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des doigts, elle ne vit plus que les fossés de la route ; une campagne en miniature qu’elle connaissait trop avec ses chardons secs, ses flaques d’eau vaseuses et ses rares fleurettes de liserons pâlies sous la poussière.

Tulotte tourna la promenade des Buges, une rangée de gros mûriers, à l’ombre desquels il y avait des bancs, puis se dirigea, de ses mêmes enjambées de garçon, du côté de l’abattoir.

Pour Mary, on allait chercher du lait chaque après-midi dans ce bâtiment d’aspect bien tranquille. Elle s’asseyait sur des chaînes tendues entre des bornes de pierre et se balançait toute seule, en attendant que Tulotte revînt avec sa boîte de fer-blanc.

Mais ce jour-là, la petite fille, dont le cerveau bouillait à cause de la chaleur orageuse, avait d’inexplicables besoins de savoir.

― Amène-moi voir la vache, dis ? demanda-t-elle de son ton tranquille et volontaire.

Tulotte haussa les épaules.

— Encore ça !… fit-elle avec désespoir ; tu es une sotte, il n’y a pas de lait ici et tu n’en boiras pas.

— Eh bien ! je n’en boirai pas… je veux te suivre… à l’ombre… j’ai si chaud !

Tulotte frappa aux volets d’une des fenêtres de l’établissement. Un gros homme, en manches de chemise, vint ouvrir la porte-cochère. Elles entrèrent dans une cour assez sale, jonchée de paille et