Page:Rachilde - La Marquise de Sade, 1887.djvu/21

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cornes forcément en avant, frappaient la terre de leur pied, levant des mufles terribles ; mais c’étaient les veaux surtout, dont les yeux s’emplissaient de grosses larmes, qu’on devait plaindre dans le tas de ce bétail condamné.

En face du hangar s’ouvrait une grande porte voûtée, un trou sombre d’où sortaient de vagues gémissements et une odeur nauséabonde. On percevait des coups sourds, des coups de massues. On tuait là-dedans de minute en minute. Un garçon tout en loques venait prendre un animal à la barre et l’amenait, tirant de toutes ses forces, jusqu’à ce trou énorme d’où rien ne ressortait ensuite que le bruit de ces coups sourds. Ce garçon avait l’esprit particulièrement méchant, il donnait du fouet à ces bêtes passives, sans aucune pitié. Il leur lançait ses gros sabots dans le ventre, frappant les veaux inertes, faisant des marques sur les nez pâles des brebis. Il allait comme une brute, avec une chanson très gaie à la bouche, torturer de malheureux porcs vautrés dans le ruisseau de boue sanguinolente qui coulait autour de la cour ; les porcs, beaucoup plus graves que le reste du troupeau, ne se dérangeaient pas, mais grognaient en ne perdant aucune occasion de happer des choses puantes.

Au-dessus du hangar, il faisait toujours très bleu, et là-bas, là-bas, aux déclins presque violets de l’horizon, le mont du Puy de Dôme portait toujours jusqu’aux seuils des secrets paradis ses chemins inconnus.