Page:Rachilde - La Marquise de Sade, 1887.djvu/25

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De temps en temps, la bête, pas tout à fait finie, se remuait, balançant sa puissante encolure, tandis que la tête cornue, broyée au crâne, allait et venait avec des balancements lamentables.

On dit que les taureaux ne voient pas les hommes parce que leurs yeux voient plus gros que nos yeux. Mais le regard d’un enfant de sept ans vit plus gros encore que le regard d’un bœuf. Il sembla à la petite fille que cette scène prenait des proportions phénoménales ; elle s’imagina que tout le bâtiment de l’abattoir était une seule tête cornue, fracassée, grinçant des dents et lui lançant des fusées de sang sur sa robe blanche ; elle se crut emportée par un torrent dans lequel se débattait avec elle une arche de Noé complète, les moutons, les veaux, les porcs, les vaches, et les garçons bouchers couraient après elle pour lui passer leur couteau sur la nuque. Le gigantesque Puy de Dôme arrivait, d’une course échevelée, vers sa microscopique personne, il répandait autour d’elle une ombre solennelle, sombre comme la nuit, elle roulait de trous en trous, s’accrochant aux chardons de la route, aux pâquerettes, aux liserons, le jardinier la repoussait d’un coup de bêche dans le cimetière et enfin elle dormait sans le souvenir du bruit, sans l’effroi de cet égorgement.

— Vous voyez ! disait le boucher s’essuyant les doigts pour verser un peu de sang bouillant dans la boîte au lait qu’il eut le soin de bien recouvrir, ce n’est pas plus malin que cela et il ne souffre qu’une minute. Il faut bien manger, n’est-ce pas ? Moi, je