Page:Rachilde - La Marquise de Sade, 1887.djvu/28

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Puis quand, saturée de vinaigre, elle releva les paupières, on vit briller des yeux bleus, des yeux de blonde qui surprenaient. Ils étaient doux, très vagues, très chercheurs pourtant ; ils la faisaient femme, malgré sa petitesse de gamine et ils rendaient nerveux ceux qui frôlaient sa peau d’une pâleur à peine rosée.

— Hein !… tu es sauvée, grimacière ? demanda la cousine Tulotte d’un ton grondeur.

— Le bœuf va ressusciter, Mademoiselle, annonça le garçon qui conduisait les bêtes au maillet. S’agit pas de pleurer, maintenant !… On ne tue personne ici, au contraire, nous guérissons nos bêtes !…

Il avait préparé son entrée, comme un comédien, et il hochait la tête en faisant de grands signes.

— Mais oui ! s’écria le boucher, on voulait plaisanter pour vous faire peur !… Jean, va me chercher le bœuf qui est plus fier que jamais… L’autre, celui qui donne le sang pour la maman, c’est un bœuf en carton !… Amène !…

Et ils firent semblant d’aller chercher l’animal, mais Mary, dont le regard plongeait là-bas, dans le trou béant, ne les vit pas revenir.

— Allons-nous-en ! décida-t-elle, tandis que Tulotte lui ôtait sa capote tachée de rouge.

Elles sortirent de l’abattoir sans se parler. Chose singulière, Mary n’avait pas versé une larme.

— Mary, dit la cousine arrivée près du cimetière, ne raconte pas cela chez nous… ta mère se tourmenterait et ton père te gronderait.